Le 5 janvier 2007
Un massif forestier sans fin [1] et mystérieux. Une vallée de 25 kilomètres, dans un relief compliqué, s’enfonçant en Y vers le Hantz et le Donon [2]. Plus de 2 000 ans d’histoire et une une formidable ressource de vie [3]
Une position stratégique :
Passage culturel et commercial depuis la nuit des temps entre la Germanie et la France [4]. Les "brisées" celtes puis le formidable réseau de voies romaines. Les 2 cols du Hantz et du Donon. La « route de Prayé »...
2 fois territoire frontière de l’Allemagne dans l’histoire récente : Alsace-Moselle intégrée de 1871 à 1918 à l’empire allemand par le "Traité de Francfort" de 1871, annexée au lendemain de la défaite de juin 1940
Un riche héritage :
Présence d’outils du néolithique. Vestiges de la période celtique
Temple romain du Donon. Multitude de voies romaines
Mines de fer et de métaux précieux. Ancienne route du sel. Communautés mennonites...
Les 3 puissantes abbayes de Senones, Moyenmoutier et Etival [5]
La principauté de Salm, restée indépendante jusqu’en 1793, date de son ralliement à la France de la Révolution [6]
Une histoire et un savoir-faire du textile et du bois exceptionnels. C’est à Senones en 1806 que l’Anglais John Heywood installe la première filature mécanique des Vosges, le tissage "Jacquart" de Moussey démarre en 1812. Et la vallée compte encore plus de 50 scieries en 1940...
Une économie intelligente :
De l’eau partout, mise à profit pour irriguer les sols et fournir l’énergie
Une immense forêt de sapins. Quantité de chantiers forestiers et de scieries de "haut fer" [7]
Plus de 50 "fabriques" textiles [8] : 20 filatures et tissages, plus de 30 sous-traitants et façonniers, qui viennent compléter l’économie ancestrale de l’agriculture, du bois, de la pierre... [9]
Une agriculture de montagne omniprésente, toujours pratiquée par la plupart de ceux devenus ouvriers
Tous les métiers, commerces et services sur place
Un réseau d’innombrables sentiers, chemins et routes
Les 2 chemins de fer qui desservent d’un bout à l’autre les vallées de la Plaine et du Rabodeau [10]. Jalonnés de quantités de chargeoirs et "abris-trains" [11]
L’attachement viscéral à sa terre et son chez-soi de l’homme d’ici. Et de quoi les défendre [12] :
La singularité du Vosgien d’ici :
Son farouche esprit d’indépendance
Sa solidité de montagnard et sa détermination
Sa culture d’homme de frontière [13]
Sa modestie apprise en restant debout face aux réalités de sa rude vie quotidienne : on ne bavarde pas ici, on fait, et se vanter est une faute
Des fusils dans toutes les maisons : fusils de chasse, Lebel et Mauser de la guerre de 14 dont chasseur ou braconnier, ancien combattant de 14, on sait se servir
Quantité de lieux quasi inaccessibles, beaucoup seulement connus de quelques initiés
Les innombrables "restes" des 4 années de front et d’occupation de la guerre de 14 : casemates, blockhaus, observatoires...
La mémoire de ce qu’est la guerre "aux premières loges", celle-ci est la 3ème en 70 ans, l’attachement viscéral du Vosgien d’ici à la liberté républicaine, la nature indépendante de l’homme et sa fiabilité... sa fierté bafouée pour la 3ème fois... l’immense et inextricable massif forestier... Autant de raisons et d’atouts qui sont instinctivement et aussitôt mis à profit, pour accueillir, camoufler, exfiltrer les évadés venus de "l’autre côté", pour "mettre les bâtons dans les roues" puis pas après pas saboter, renseigner, organiser la lutte pour se débarrasser de l’occupant
Le terreau adéquat pour remplir 5 années d’une histoire lourde des vies engagées, risquées, perdues, salies ou héroïques. L’effroyable prix payé d’avoir voulu rester debout, qui fera de la vallée du Rabodeau la vallée aux 1 000 déportés, celle que le général de Gaulle nommera "La Vallée des Larmes"
Une occasion de réfléchir autour de ces mots écrits après guerre (par les hommes des Forces spéciales britanniques !) : "There is no glory in the war. Only death, shattered bodies... and disturbed minds" (Il n’y a pas de gloire dans la guerre. Seulement la mort, des corps brisés... et des esprits dérangés)
[1] Aperçu général du massif vosgien au travers de ce documentaire de 1937 de Louis Colin (films André Dolmaire). Cliquer
[2] Visualisation par satellite de la vallée du Rabodeau à partir de Moussey, sur Google Maps. Cliquer
[3] Histoire de la vallée du Rabodeau. Site Le Pays des Abbayes. Cliquer
[4] Notons que les pionniers des communications du 19ème siècle avaient tracé la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg selon un itinéraire passant par un tunnel sous le col du Hantz. Contre toutes logiques économiques, de distance, rapidité, coût, le choix fut autre...
[5] Les 3 Abbayes. Quelque 11 siècles d’histoire en nombre d’étapes, aperçu dans ces pages de Wikipedia :
Saint Pierre de Senones. Cliquer
Saint Hydulphe de Moyenmoutier. Cliquer
Saint Pierre d’Etival. Cliquer
[6] Principauté de Salm. Près de 7 siècles d’histoire en nombre d’épisodes, aperçu dans ces pages de Wikipedia :
Salm en Vosges. Cliquer
Salm Salm. Cliquer
[7] Les scieries et les anciens sagards des Vosges. Une monographie très complète de J-L. Boithias et M. Brignon. Cliquer
[8] Rapide aperçu dans "le blog de Michel". Cliquer
[9] Un aperçu général de ce que fut l’évolution industrielle de ces Vosges de l’arrondissement de Saint Dié. Extraits de Annales de Géographie, librairie Armand Colin. Sur site Persée :
M. Beaumont. Cliquer
A. Perchenet. Cliquer
[10] A noter qu’il y eut aussi, secteur col du Hantz, la "Bimmelbahn" puis la "Hantzbahn". Cliquer
[11] Le "Petit train de Moussey" :
Histoire du "Tramway de Moussey-Senones". Un site à consulter. Cliquer
Dans Galerie d’images ci dessous : 1/ photo à la gare de Moussey 2/ article de presse sur la "cérémonie d’enterrement" du 16 septembre 1951
[12] Une facette de la "culture de fond" du Vosgien d’ici au travers de cette étude de B. Fréquelin, C. Méchin, B. Hell : Braconner en Vosges. Essai d’anthropologie... Cliquer
[13] Portrait par Louise Weiss : "En somme, philosophait ma mère, nos ascendants étaient des hommes de frontière, accoutumés à résister aux invasions. Ils attachaient du prix à vivre librement, à discuter à leur guise de leurs affaires, à exprimer leurs opinions. On ne pouvait les contraindre à rien"