L’avance rapide des troupes débarquées en Normandie, puis le débarquement de Provence (à partir du 15 août) décident le haut état-major allemand à utiliser le massif des Vosges comme ultime rempart de ses frontières "naturelles". Ce qui implique de renforcer le "Schutzwall West" et de "nettoyer" ses arrières
C’est ainsi que mi-août le haut commandement SS de Strasbourg ordonne à l’état-major d’Epinal de mettre immédiatement sur pied un plan d’anéantissement préventif des maquis vosgiens, de celui de la haute vallée du Rabodeau principalement et pour cause [1]. Une volonté personnelle d’Himmler, bientôt totalement "débridée" par le décret d’Hitler du 2 septembre qui lui donnera les quasi pleins pouvoirs opérationnels sur la région [2], maintenant omnipotent, omniprésent, totalement incontournable et plus pressant encore depuis l’attentat de von Stauffenberg contre Hitler (20 juillet 44) [3] . C’est le fondement de l’opération "Wald Fest" (ou Waldfest) [4]
Cette opération telle que considérée comme un tout démarré mi août - coïncidence avec le parachutage de l’avant-garde de Loyton non due au hasard - durera un peu plus de 3 mois (jusqu’au 22 novembre, jour de la Libération d’ici). Progressivement articulée autour des 2 BDS * Alsace-Bade et France et directement contrôlée par l’état-major de Himmler par le biais de Alphonse Uhring. Pour en savoir plus, se reporter à l’article dédié dénommé L’Aktion Wald Fest. Pourquoi et comment, en particulier au 1er document PDF de bas de page "Dossier d’enquête Missing Parachutists... ". Cliquer
* BDS signifie "Befehlshaber der Sicherheits Polizei und der Sicherheits Dienst", en Français Commandement supérieur des polices de sécurité Sipo et SD d’un territoire
Une "avant première" démarre ici le 16 août [5]. Elle vise le GMA Vosges et la Résistance de Moussey et environs (il y a eu en effet là, le 13 août à la Côte du Mont, le parachutage des avant-gardes de l’Opération Loyton et des premières armes destinées au Maquis local). Elle comprend 2 étapes principales [6]
Etape du 17 août :
Vaste opération militaire de "ratissage", alliant Einsatz Kommandos, Feld Gendarmerie et Wehrmacht. Le but est de briser la résistance vosgienne du Massif du Donon : briser le GMA Vosges, barrer la montée en puissance du 1er RCV FFI, mettre la main sur les maquisards locaux, capturer les parachutistes du SAS, récupérer les armes acheminées au Jardin David lors du parachutage du 13 août. Illustration :
– 3 formations allemandes, parties de la vallée de Celles, du Donon et de Moussey, convergent vers les Bois Sauvages
– Etonnamment bien informées, elles se dirigent directement vers le secteur Lac de la Maix/Jardin David, position du GMA Vosges tenue à ce moment précis à la Fontaine des Colas Lorrains par la 2ème centurie de l’aspirant Lefranc alias "Félix", et non plus par la 1ère du sous-lieutenant Ricatte alias "Jean-Serge", objectif originel (celle-ci n’était plus à l’endroit transmis par les dénonciateurs mais récemment "déménagée" au col des Herrins...) [7]. S’y trouve en accompagnement une forte équipe de parachutistes Anglais (2ème SAS, F Phantom dont captain Hislop, SOE Jed Jacob dont sergeant Seymour), regroupée autour du captain "Goodfellow" (Robert de Lesseps, Français bilingue) et guidé par des maquisards locaux. C’est là et dans ces moments là en pleine forêt, que se tiendra une conférence d’état-major "interalliée" entre le "staff" SAS et le "staff" GMA Vosges + colonel Gilbert Grandval, patron de la "Zone C"...
– Bien que prévenus par le garde chasse Albert Freine, les hommes tardent à se replier, se dispersent et ne peuvent tous éviter l’affrontement. On compte plusieurs morts, blessés et capturés lors de la débandade. Parmi d’autres, les parachutistes britanniques décident de se replier par groupes séparés, seuls ou accompagnés d’hommes du cru, vers Vexaincourt, Allarmont, Moussey... Un principal "chemin" vers Moussey sera maison forestière des Chavons, la "Digue", la basse de Lieumont, le Harcholet, où les assisteront des habitants [8]...
– Des effets personnels sont "oubliés" sur place. Parmi ceux ci, au moins 2 (en toute logique 3) sacoches d’officiers d’état-major du GMA ! C’est là, parmi les plans et projets du GMA Vosges, que sera trouvée le lendemain 18 une liste de noms dite "La liste oubliée" [9]. Funestes conséquences, dans les heures à venir... et par la suite. La liste des morts parle (document PDF de page)
Etape du 18 août :
Vaste "opération de police", alliant elle aussi Einsatz Kommandos et Wehrmacht. Le but est de conclure l’opération de la veille en mettant la main sur les gens des villages d’ici qui "sont du maquis" (les rescapés de l’opération de la veille, les participants du parachutage du 13 août, d’autres "terroristes" si possible). Illustration par l’exemple de Moussey, le village le plus touché dans cette affaire :
– Ce vendredi, tôt le matin (environ 6h 30), des troupes de la Wehrmacht investissent le village et le SD installe son quartier général à la « Crèche »
– L’organisateur délégué sur place (Lt Raimond Fischer, Alsacien travaillant pour le BDS Alsace-Bade... ) exige 10 otages. Jules Py, le maire, 8 conseillers municipaux et Achille Gasmann, le curé, se désignent et sont enfermés dans les sous-sols (les noms dans document PDF ci dessous "Témoignage de J. P. Houel")
– Puis tous les hommes (a priori de 17 à 60 ans) sont convoqués par l’appariteur du village Louis Marchal (dit "le Ziquet") placé sous bonne garde dans un side-car allemand, ratissés et rassemblés à la « Crèche »
– Vers midi, faute de trouver des preuves suffisantes, tout le monde est relâché
– Vers 17 heures, tous les hommes sont à nouveau convoqués au même endroit. Parce que, entre temps, la "liste oubliée" évoquée ci-avant a été établie, au moins dans son essentiel (voir Note 7)
– Les suspects sont interrogés et enfermés sur place, aucun ne "parle"
– Le lendemain matin, 52 hommes dont toute la brigade de gendarmerie et une partie des gardes forestiers sont emmenés par camions à destination du camp de Schirmeck (certains transiteront par les officines du SD que sont le "Château de Belval" et la "Maison Barthélémy" de Saales) [10]. Ils y retrouveront Georges Evrard, arrêté individuellement à sa maison forestière de Moussey-Chavons, emmené à Allarmont, et rescapé (il n’a jamais su pourquoi) de l’exécution des hommes enfermés au "local des Pompes". René Valentin, le chef de la 6ème centurie, seulement "pris" le 23, les y rejoindra [11]
– Ils subissent là interrogatoires et tortures. Aucun ne « parle », et 44 sont désignés "pour les camps" [12]. 36 du village n’en reviendront pas (39, "clandestins" compris)
Parmi d’autres conséquences, 14 hommes sont capturés les 17 et 18 août et enfermés à la salle des Pompes d’Allarmont. 10 seront extraits "par étapes" le 19 pour être exécutés dans les bois environnants [13]. Les 4 derniers dont Georges Evrard seront conduits à Schirmeck
3 des 4 parachutistes Anglais capturés dans l’opération seront exécutés "dans la foulée" et 1 sera gardé prisonnier [14]
Environ 40 hommes sont triés et "mis à part" le 23 août
– 35 (17 de Moussey dont 3 "clandestins", 5 de Belval, 4 de Le Saulcy... ) sont montés de Schirmeck au Struthof par camion le soir du 1er septembre, en même temps que 106 résistants dont 15 femmes du "Réseau Alliance" (témoignage dans dernier document PDF de bas de page). Tous sont conduits au block crématoire et exécutés dans la nuit, l’effroyable "nuit du 1er au 2 septembre" : 141 exécutions "à la chaîne" !
– Au moins 4, Maurice Fister de Belval, Camille Léonard de Vexaincourt, René Josselin, maquisard de Le Saulcy Belval venu de Lyon, Jacques Cuny de Raon sur Plaine, sont morts au camp de Schirmeck des tortures infligées au cours des interrogatoires pratiqués par Schöner lui-même, des hommes de son Einsatz Kommando et par l’équipe résidente de Wald Fest (peut-être que Arnaud Baratchart, capturé grièvement blessé au Lac de Maix, voire d’autres hommes, ont subi pour les mêmes raisons le même sort)
Témoignages, à lire ou écouter :
– Documents PDF ci dessous dont Les "Hommes du 18 août" exécutés au Struthof
– Struthof 31 août 2014, l’exceptionnelle commémoration du massacre de la nuit du 1er/2 septembre 44. Cliquer
– Récit d’un témoin du massacre (Radio France, extrait du dossier spécial d’Olivier Vogel réalisé en 1995). Nota : ce dossier n’est maintenant plus en ligne et il est nécessaire d’en acquérir le DVD. Cliquer pour en savoir plus [15]
Un peu plus de 10 hommes sont libérés après quelques jours [16]
Tous les autres resteront enfermés à Schirmeck et seront déportés un peu plus tard en Allemagne [17]
A noter que la 6ème centurie du GMA Vosges dirigée par René Valentin - la "Centurie de Moussey" - se retrouve saignée à blanc... et pour cause (noyau dur du parachutage du 13 août). Ses quelques "non capturés" intègreront une nouvelle "Centurie de Moussey", formée quelques jours plus tard autour du lieutenant du Génie Jean Granjon (chef du "chantier forestier" installé depuis 1 an à Moussey), attachée au 1er RCV FFI du colonel Emile Marlier]]
La déportation du 18 août est la première des 3 vagues d’arrestations de masse de la vallée du Rabodeau [18]. Elle engloutit une centaine d’hommes dont plus de la moitié sont de Moussey, une trentaine des villages voisins, une quinzaine du haut de la vallée de la Plaine, et 4 parachutistes Anglais [19]
Elle n’étouffe cependant en rien la détermination de l’état-major allié, ni celle des hommes d’ici. Le GMA Vosges élargit son recrutement dans la vallée de la Plaine. Le colonel Marlier continue de renforcer le 1er RCV FFI et restructure la haute vallée du Rabodeau autour du 1er bataillon (dit aussi 3ème) qu’il confie au garde général des Eaux et Forêts Denis Fondeur... Et les parachutages reprennent ici 2 semaines plus tard, plus massifs encore en hommes du SAS et armement que celui du 13 août
La contrepartie en sera le renforcement proportionnel de la détermination allemande à tout entreprendre pour anéantir la Résistance d’ici et ne pas se faire "ronger" de l’intérieur... L’opération Wald Fest va donc battre son plein [20]. Et les arrestations, perquisitions, exécutions, rafles, ne feront plus que se multiplier au fil des jours. Elles dureront jusqu’au 22 novembre, date de l’arrivée de la 100ème division d’infanterie US dans la vallée : la Libération [21]
La déportation du 18 août [22] n’est ainsi que le début d’une implacable et longue traque. Son point culminant sera les 2 gigantesques "rafles antiterroristes" et déportations du 24 septembre puis des 5 et 6 octobre, suite logique [23] . Le tableau présenté dans la rubrique Bilan humain résume la "facture globale" : la vallée du Rabodeau devenue "la vallée aux 1 000 déportés" ! Cliquer
Notons ici, en appui du rapport Barkworth/Missing Parachutists (qui n’est qu’une première synthèse, panoramique mais toutefois étonnamment précise) , l’utilité des rapports et "journaux de bord" personnels des parachutistes anglais dans la compréhension du contexte, la précision des faits et le "nettoyage" des légendes. Ces derniers documents ne sont pas et n’ont pas à être pour l’instant publiés ici