Cette opération centrée sur Moussey et le hameau du Harcholet englobe les villages du haut de la vallée voisins que sont Le Saulcy, La Petite Raon, Belval, Le Puid, Le Vermont...
Voici l’exemple de Moussey, le plus durement touché dans cette affaire, où c’est la 2ème, celle qu’on appelle ici la "grande" déportation :
Le village est discrètement [1 ] encerclé par la Wehrmacht dès l’aube [2 ] . Les hommes du Kommando Ernst, dont le détachement de Teufel était venu prendre ses quartiers le 20 septembre au château de Belval pour la circonstance, dirigent les opérations, appuyés de détachements d’autres Einsatz Kommandos tels que Wenger, venu s’installer à cet effet au même château de Belval les 24 et 25 septembre. Les unités de la Wehrmacht préparent le terrain en encerclant dès l’aube les villages puis vidant les maisons de tous leurs habitants qui ne sont pas à la 1ère messe. Hommes, femmes et enfants sont poussés vers le centre du village et retrouvent ceux qui sortent de l’église. Tout le monde finit parqué dans la cour de la "Crèche" où la "Gestapo" a installé son PC... Là les rejoint la cohorte des habitants du Harcholet
La même "opération" se déroulait en même temps dans les 6 autres villages de la haute vallée : Belval, La Petite Raon, Le Mont [3 ] , Le Puid, Le Saulcy, Le Vermont (voir témoignages dans différents articles)
Grâce à l’attitude exemplaire de la population (personne n’a "parlé" !), au sang-froid du maire Jules Py, à l’interposition du curé Achille Gasmann et de son ami l’abbé Mollier, le village ne sera pas brûlé ni les femmes déportées... Mais les hommes valides seront conduits dans l’après-midi, à pied, vers le QG local du SD qu’est le château de Belval. Là seront aussi amenés les hommes des autres villages du haut de la vallée [4 ]
Le lendemain, après une nuit d’interrogatoires puis un nouveau tri, les hommes âgés de 17 à 50 ans, 144 de Moussey et 309 des villages environnants, sont conduits par le col du Hantz vers le camp de Schirmeck [5 ] où ils arrivent le 26. Toujours à pied sous la pluie battante, après une nuit passée entre les métiers de la filature désaffectée de Poutay [6 ]
Le plus grand nombre sera emmené vers Dachau pour commencer (arrivées à partir du 9 octobre). 317 hommes sur les 453 déportés du 24 septembre ne reviendront pas ! [7 ]
Vous trouverez des récits de témoins du 24 septembre :
– Dans les témoignages attachés à cette rubrique
– Dans rubrique Ecrits de rescapés : documents PDF des récits de Aimé Vigneron, Jean Vinot, Marcel André, Bernard Py, Louis Receveur... Cliquer
Notes
[1 ] Les responsables du 1er RCV FFI, bien que se sachant de plus en plus "dans le collimateur" du SD, n’ont toutefois pas imaginé que les intentions allemandes étaient de prendre en otage les populations des villages du haut de la vallée puis d’en déporter les hommes valides
Le 22 septembre toutefois, le "capitaine Morel" (de son vrai nom Emile Finck, chef du "Maquis Morel", importante unité du 1er RCV FFI) avertit informellement Denis Fondeur (garde général des Eaux et Forêts, basé à La Petite Raon, chef du 1er bataillon du même 1er RCV FFI) qu’un ordre du Cdt Didier (dit aussi Duval, de son vrai nom René Matz, chef de la Résistance des Vosges) indiquait au Colonel Marlier (le chef du 1er RCV FFI) qu’une réaction allemande se préparait à court terme et qu’il fallait en conséquence faire gagner la forêt aux hommes des centuries du haut de la vallée. Il n’y a plus (et il n’y a jamais eu) de raisons de discuter ce fait !
La décision d’exécution ne fut pas prise. Pour 2 raisons principales :
– A réception, Denis Fondeur prit sur lui de ne rien dire ni faire avant d’en discuter avec le colonel Marlier. La raison étant de bien peser les conséquences d’une telle décision : éviter 6 "Oradour" dans les 6 villages visés et au moins éviter de recopier les 2 erreurs que venait de commettre l’Etat-Major du GMA Vosges : celle de la prise au piège de "l’affaire du 18 août" et celle de "l’affaire de Viombois" (3 et 4 septembre), et leurs suites dévastatrices
– Denis Fondeur partit aussitôt pour Le Harcholet via Vieux Moulin-La Rochère puis Le Puid, mais ne put rencontrer le colonel et pour cause. Ce dernier se trouvait en effet à ce moment là cerné dans sa maison par un Kommando du SD et quelques heures plus tard enfoui sous les ruines fumantes de celle ci. Le processus de la rafle du 24 septembre dans les 6 "villages du haut" étant enclenché dans le même temps, aucune "action préventive" n’eut ainsi le temps d’être prise... (Denis Fondeur, lui même pris en chasse par le SD, dut se réfugier en forêt... et mena, jusqu’à la Libération, la vie d’un animal sauvage. Voir extrait de son "Journal d’un traqué" dans document PDF de bas de page)
Ainsi le garde Lucien Villemin, détaché auprès du garde général Fondeur par l’inspection de Saint Dié et donc "aux premières loges", ne se doutait-il de rien en quittant son bureau de La Petite Raon le samedi soir 23... Et de ce fait il n’a pas cru bon de se soustraire le lendemain à ce qu’il pensait n’être "qu’un contrôle de plus", malgré les insistances de Georges Doridant (gendarme de Moussey "démissionné" par Vichy), de mademoiselle Grandgeorges (directrice de l’école des filles), de sa femme... et les multiples possibilités de se cacher
Le "Kommando Ernst" a pu donc opérer en toute tranquillité cette énorme rafle puis déportation, particulièrement bien préparée, du dimanche 24 septembre (et aussi sa suivante des 5 et 6 octobre, notons concernant celle ci que quelques "chefs" surent préventivement sortir leur épingle du jeu... )
[2 ] Détachements de troupes de la Wehrmacht détournées du front contre Patton sur ordre d’Himmler. Opérationnellement dépendantes du BDS Alsace-Bade et non du général von Kirchbach "patron" d’Epinal. Ces troupes sont spécialement affectées aux opérations de ratissage menées par les Einsatz Kommandos du SD. Il s’agit en premier lieu de la 405ème division d’infanterie aux ordres du général Willy Seeger. Compléments d’information dans article La chasse à l’homme. Les Einsatz Kommandos. Cliquer
[3 ] A Le Mont, le "processus" s’arrêta à la phase de rafle et parcage des hommes. Pas en raison d’une manifestation particulière d’humanité mais grâce à la détermination et au culot d’un homme, Charles Wantz. Celui-ci réussit à détourner de leur poste les 3 ou 4 allemands en charge de la garde des "sélectionnés", enfermés en attente de leur départ dans une simple grange de ferme parce que peu nombreux. Sous le prétexte, alléchant pour des hommes au ventre vide et harassés par des heures de traque, qu’un "casse-croûte" les attendait à 2 pas de là. Un répit de quelques minutes qui a permis l’envolée des enfermés vers la forêt quasi contigüe de la Côte du Mont et des caches connues d’eux. Le faible nombre concerné dans ce village de seulement une centaine d’habitants, l’étendue et la complexité de l’opération globale menée simultanément dans tous les autres "villages du haut", un emploi du temps "serré" consécutif... la peur paralysante d’une exécution sommaire pour "abandon de poste" motivant à camoufler l’affaire s’ajoutant, n’ont pas permis de retrouver les fuyards ni l’auteur du "bluff". Il n’y a ainsi pas eu de déportés à Le Mont, l’exception. Précisons que Charles Wantz a joué là tous ses atouts : le prestige que lui donnait son statut d’ancien combattant alsacien de 14-18 dans l’armée allemande, sa Croix de fer dans la main pour preuve, sa parfaite maitrise de la langue allemande, son aplomb et sa prestance naturelle...
[4 ] Cette 2ème déportation n’est évidemment pas le fruit du hasard, mais est la réaction logique à la continuation des parachutages sur le territoire de la commune. En effet :
– Les 3 derniers (suite de ceux du 13 août à la côte du Mont, des 1er et 6 septembre à Veney, du 6 septembre de nouveau la côte du Mont) viennent de s’effectuer coup sur coup les 14, nuit du 19/20 et nuit du 21/22 septembre en plein village cette fois, sur le plateau de la Charbonnière (et un autre était programmé au même endroit pour quelques jours après)
– Ces 3 parachutages ont apporté à eux seuls près de 1/3 de l’effectif total des parachutistes anglais de l’opération Loyton, largué des tonnes d’armes, munitions, matériels... et 6 jeeps spéciales armées de mitrailleuses lourdes
– Ceci signifiant d’évidence l’imminence de l’offensive alliée et de la mobilisation consécutive du maquis contre les arrières du front allemand. que tout se présentait comme prévu. que l’offensive à travers les Vosges d’ici n’était plus qu’une affaire de 2 ou 3 jours ! (Rappelons qu’à cette date les troupes américaines arrivaient à 30 km d’ici, que la 2ème DB était derrière Baccarat, et qu’on entendait depuis ici les grondements du canon)
Faute d’avoir pu décapiter la Résistance d’ici malgré "l’affaire du 18 août" et "l’affaire de Viombois" qui ont conduit au désastre le GMA Vosges et amené sa dissolution le 8 septembre. Faute d’avoir pu capturer tous les SAS et les chevilles ouvrières du 1er RCV FFI et briser ainsi l’Opération Loyton. Faute d’avoir pu décourager la population des villages de continuer à grossir et soutenir les troupes du maquis et à faire corps avec les parachutistes anglais... les Allemands n’avaient plus d’autre solution rationnelle que celle de "vider le haut de la vallée" de tous ses hommes valides
Notons que ce "coup de filet" du 24 septembre 44 a lieu le jour de la semaine où l’on est sûr de trouver les gens "chez eux" : le dimanche. Un "jour sacré" à cette époque à tous points de vue : tout le monde est chez soi parce que c’est le jour, scrupuleusement respecté, consacré au repos, à la famille... à l’incontournable messe du dimanche, qui est au moins autant le forum ("couaroye") de la semaine qu’office religieux
[5 ] Notons que pour "compléments d’enquête" quelques-uns resteront plus ou moins longtemps en "prolongation de garde à vue", ou sur place ou au SD de Saales (Ernst, Maison Barthélémy). Ceci assorti de nombreux aller-retours entre les lieux d’interrogatoires, dont Schirmeck, et les "lieux du crime"
[6 ] Poutay n’étant par la forêt qu’à quelques heures de marche de Moussey (et la garde nuit n’étant assurée que par un effectif réduit), une poignée d’hommes de Moussey décidés par de leurs proches du "Génie forestier" entreprit de s’évader en passant par le local de la turbine. Tentative réussie sauf pour 2, repris en chemin par la "Grenzpolizei" du col du Hantz. Ramenés à Schirmeck, le prétexte de les faire "parler" tombait à pic. C’est ainsi qu’après avoir subi d’horribles tortures, l’un d’eux (GG), "promené" le 27 septembre devant les hommes de Moussey spécialement rassemblés, en désigna quelques-uns comme étant "du maquis" et participants des équipes de parachutages. De fil en aiguille les langues se délièrent et une trentaine d’hommes se trouvèrent identifiés par la force des choses. D’abord mis dos au mur devant un peloton "armes chargées", ce groupe fut enfermé à part dans le but de "l’éliminer" sans délai. L’exécution ne ne se réalisa pas "dans la foulée" pour 2 raisons : l’intercession de ML L auprès de Karl Buck et l’indisponibilité des moyens du camp du Struthof, celui-ci venant d’être prioritairement affecté à l’hébergement des Miliciens de Darnand et collaborateurs en transit vers l’Allemagne. Le groupe fut ainsi envoyé le 3 octobre au camp de Niederbühl. Le manque de moyens et la désorganisation inhérentes aux replis devant l’avance alliée firent que ces hommes rejoignirent en fait le "tronc commun" et furent "comme tout le monde" envoyés sur Haslach et autres camps proches ou embarqués dans le train pour Dachau du 6 octobre. La plupart des noms de ce groupe est dans document PDF de bas de page "Les dénoncés du 27 septembre"
[7 ] Mais, si "le plus gros" vient d’être fait ici, chasse à l’homme et répression continuent dans la vallée jusqu’au jour même de sa Libération, le 22 novembre : arrestations, réquisitions de main d’oeuvre et de biens, traque continue des rescapés de la rafle du 24 septembre, traque acharnée des parachutiste britanniques... le village de Le Puid incendié le 25 septembre, celui de Vieux-Moulin le 5/6 octobre... incendie d’une dizaine de résidences individuelles, fermes isolées, scieries dans la 1ère quinzaine d’octobre... l’énorme rafle et déportation des hommes de Senones et Vieux-Moulin les 5 et 6 octobre... exécution de 25 résistants... Pour finir, la "réquisition des travailleurs forcés de novembre"